top of page

Un associé peut-il rester prisonnier de ses titres ?

  • aureliecottray
  • 7 avr.
  • 5 min de lecture
Homme de dos devant fenetre a barreau

Dans le monde des affaires, les relations entre associés ne sont pas toujours au beau fixe. Un conflit peut surgir et perdurer, créant une situation de blocage où un associé se retrouve "prisonnier" de ses titres. Cette problématique touche particulièrement les sociétés non cotées, où les parts sociales ou actions ne peuvent être cédées facilement. Examinons en profondeur les enjeux juridiques et pratiques de cette situation, ainsi que les solutions envisageables pour les associés en difficulté.


Le principe fondamental : le droit de rester dans la société


En droit français, conformément aux articles 544 et suivants du Code civil, un associé ne peut pas être contraint de quitter la société contre son gré, ni d'être forcé à céder ses parts sociales ou actions. Ce principe fondamental, soutenu par une jurisprudence constante, protège les associés contre toute exclusion arbitraire. Seul un motif d'utilité publique, accompagné d'une indemnisation préalable, pourrait justifier une telle contrainte.


Cette protection s'avère être une arme à double tranchant, car elle peut également signifier qu'un associé peut se retrouver "enfermé" dans une société dont il souhaiterait sortir, mais sans pouvoir le faire dans des conditions acceptables.


La réalité d'un associé "prisonnier" de ses titres


Un associé peut effectivement se retrouver prisonnier de ses titres dans plusieurs situations, notamment :

  • Lorsqu'il est minoritaire dans une société non cotée, rendant difficile la valorisation et la cession de ses parts.

  • En cas de mésentente grave avec les autres associés, paralysant le fonctionnement de la société.

  • Quand aucune clause statutaire ne prévoit de mécanisme de sortie en cas de conflit.

  • Face à l'absence d'acheteurs potentiels pour ses parts sociales.

  • Dans un contexte où le prix proposé pour le rachat de ses titres est dérisoire par rapport à leur valeur réelle.


Cette situation est d'autant plus problématique que le Code de commerce ne prévoit pas de mécanismes spécifiques pour résoudre un blocage entre associés si les statuts sont silencieux sur ce point. L'associé se retrouve alors dans une impasse juridique et financière, véritablement "prisonnier" de son investissement.


Les options légales pour sortir d'une société


Malgré ces difficultés, plusieurs voies existent pour un associé souhaitant quitter une société :


Le retrait volontaire et la cession des parts

Un associé peut théoriquement quitter la société en cédant ses parts sociales à un autre associé ou à un tiers. Cependant, cette option est soumise aux règles statutaires, qui peuvent prévoir un droit d'agrément ou de préemption en faveur des autres associés. Par ailleurs, il convient de noter qu'une SARL ne peut pas racheter les parts d'un associé, sauf dans le cas spécifique d'un défaut d'agrément d'un cessionnaire.


La difficulté majeure réside dans la valorisation des titres et la recherche d'un acquéreur, particulièrement dans les sociétés de petite taille ou en situation de conflit interne. Sans marché organisé pour ces titres, l'associé peut se retrouver contraint d'accepter une décote importante ou de rester dans la société malgré sa volonté de partir.


La dissolution judiciaire pour mésentente

Face à une mésentente grave et prolongée entre associés qui paralyse le fonctionnement de la société, un associé peut demander la dissolution judiciaire de celle-ci. Cependant, les tribunaux n'accordent cette mesure qu'avec parcimonie, considérant qu'il s'agit d'une solution de dernier recours qui peut détruire la valeur économique de l'entreprise. Le juge examinera si la mésentente est suffisamment grave et durable pour justifier une telle décision, et si d'autres solutions moins radicales sont envisageables.


Cette option, bien que disponible juridiquement, comporte donc un risque significatif de perte de valeur pour tous les associés, y compris celui qui souhaite sortir de la société.


Les mécanismes préventifs : l'importance des clauses statutaires


Pour éviter qu'un associé ne se retrouve prisonnier de ses titres, il est essentiel d'anticiper les situations de blocage dès la rédaction des statuts ou du pacte d'associés. Plusieurs mécanismes peuvent être prévus :


La clause d'exclusion statutaire

Une société peut inclure une clause d'exclusion dans ses statuts, particulièrement autorisée par la loi pour certains types de sociétés comme les sociétés coopératives. Cette clause doit être définie soit lors de la création de la société, soit par une décision unanime des associés. Pour être valide, elle doit préciser clairement les causes et modalités d'exclusion, sans être arbitraire, et respecter le droit fondamental de participation des associés aux décisions collectives.


En cas d'activation de cette clause, l'associé concerné doit pouvoir exercer son droit à la défense, être informé des griefs qui lui sont reprochés et avoir l'opportunité de présenter ses arguments. Par ailleurs, une indemnisation juste doit être prévue, calculée en fonction de la valeur réelle des parts sociales.


Les clauses de sortie et de résolution des conflits

D'autres mécanismes contractuels peuvent également être mis en place pour prévenir ou résoudre les situations d'associé "prisonnier" :

  • Les clauses de sortie conjointe (tag along) qui permettent à un minoritaire de vendre ses titres en même temps que l'associé majoritaire.

  • Les clauses d'entraînement (drag along) qui obligent un minoritaire à céder ses titres en cas de vente par le majoritaire.

  • Les clauses de rachat à prix déterminé ou déterminable en cas de conflit.

  • Les mécanismes d'arbitrage ou de médiation pour résoudre les différends sans recourir aux tribunaux.


Ces dispositions contractuelles, si elles sont bien rédigées et adaptées à la situation spécifique de la société, peuvent considérablement réduire le risque qu'un associé se retrouve "prisonnier" de ses titres.


Les recours de l'associé en conflit


En l'absence de mécanismes préventifs, un associé en situation de conflit dispose néanmoins de certains droits pour protéger ses intérêts et, potentiellement, créer les conditions d'une sortie négociée :


Les droits d'information et de contrôle

Un associé, même minoritaire, dispose de plusieurs droits lui permettant d'obtenir des informations sur la gestion de la société :

  • La convocation d'une assemblée générale (sous certaines conditions de capital)

  • Le dépôt de questions écrites auxquelles les dirigeants doivent répondre

  • La demande d'une expertise de gestion en cas de soupçon d'irrégularités


Ces droits, s'ils sont correctement exercés, peuvent mettre en lumière d'éventuelles irrégularités dans la gestion et créer un levier de négociation pour l'associé souhaitant sortir de la société.


Les actions contentieuses

Face à des blocages persistants ou des abus, un associé peut également entreprendre diverses actions contentieuses :

  • L'injonction de communication de documents

  • La révocation judiciaire du dirigeant social en cas de faute grave

  • L'action en responsabilité pour non-respect des conventions réglementées

  • L'action en responsabilité pour faute de gestion, bien que celle-ci soit souvent difficile à prouver


Ces procédures, bien que longues et coûteuses, peuvent créer une pression suffisante pour inciter les autres associés à négocier une solution de sortie équitable.


La médiation : une solution alternative efficace


Face à la complexité et aux coûts des procédures judiciaires, la médiation s'impose comme une alternative de plus en plus prisée pour résoudre les conflits entre associés. Ce processus confidentiel, mené par un tiers neutre et impartial, permet aux parties de dialoguer dans un cadre structuré pour trouver une solution mutuellement acceptable.


La médiation présente plusieurs avantages significatifs dans les conflits entre associés :

  • Elle préserve la confidentialité des affaires de l'entreprise

  • Elle est généralement plus rapide et moins coûteuse qu'une procédure judiciaire

  • Elle permet d'explorer des solutions créatives que le juge ne pourrait pas imposer

  • Elle favorise le maintien de relations professionnelles, ce qui peut être crucial si les parties doivent continuer à interagir après la résolution du conflit


Le médiateur spécialisé dans les conflits d'entreprise possède à la fois une expertise juridique et une compréhension fine des enjeux économiques, ce qui lui permet d'accompagner efficacement les parties vers une solution équilibrée.


Conclusion : prévenir plutôt que guérir


Si un associé peut effectivement se retrouver "prisonnier" de ses titres en l'absence de mécanismes de sortie adaptés, cette situation n'est pas une fatalité. La prévention, par la rédaction soigneuse des statuts et des pactes d'associés, reste la meilleure protection contre ce risque. En cas de conflit avéré, les droits légaux de l'associé, combinés à un processus de médiation, peuvent permettre de trouver une issue satisfaisante.

bottom of page